RIMBAUD AUX SIENS
Aden, 25 août 1880.
Chers amis,
Il me semble que j’avais posté dernièrement une lettre pour vous, contant comme j’avais malheureusement dû quitter Chypre et comment j’étais arrivé ici après avoir roulé la mer Rouge.
Ici, je suis dans un bureau de marchand de café. L’agent de la Compagnie est un général en retraite. On fait passablement d’affaires, et on va faire beaucoup plus. Moi, je ne gagne pas beaucoup, ça ne fait pas plus de six francs par jour ; mais si je reste ici, et il faut bien que j’y reste, car c’est trop éloigné de partout pour qu’on ne reste pas plusieurs mois avant de seulement gagner quelques centaines de francs pour s’en aller en cas de besoin, si je reste, je crois que l’on me donnera un poste de confiance, peut-être une agence dans une autre ville, et ainsi je pourrais gagner quelque chose un peu plus vite.
Aden est un roc affreux, sans un seul brin d’herbe ni une goutte d’eau bonne : on boit l’eau de mer distillée. La chaleur y est excessive, surtout en juin et septembre qui sont les deux canicules. La température constante, nuit et jour, d’un bureau très frais et très ventilé est de 35 degrés. Tout est très cher et ainsi de suite. Mais, il n’y a pas : je suis comme prisonnier ici et, assurément, il me faudra y rester au moins trois mois avant d’être un peu sur mes jambes ou d’avoir un meilleur emploi.
Et à la maison ? La moisson est finie ?
Contez-moi vos nouvelles.
ARTHUR RIMBAUD.